21 novembre 2024
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Concordia est une jeu de Mac Gerdts, illustré par Mac Gerdts, Marina Fahrenbech et Dominik Mayer. Il a été édité par PD6Verlag et localisé par Ystari. Il a été réédité par Matagot.

Cette chronique a été diffusée dans l’émission « Chroniques 137 » de juin 2022 proposée par le podcast Proxi-Jeux. Elle a été co-écrite avec Hammer.

Ave les joueuses, Ave les joueurs, Morituri te salutant, ceux qui vont jouer te saluent, bon c’est une traduction libre, mon latin est un peu rouillé. Mais enfilez votre toge, chaussez vos caligae, on va marcher sur la voie Appia !

Concordia est un jeu de Mac Gerdts, illustré par l’auteur lui-même ainsi que Marina Fahrenbech et Dominik Mayer. Sorti en 2013 chez PD-Verlag et localisé par Ystari. Il a connu une réédition récente chez Matagot dans sa version Venus qui offre notamment une version par équipe. Et il connaît toute une ribambelle d’extensions qui sont en réalité autant de cartes différentes sur lesquelles jouer.

Concordia est un jeu de gestion de main dans lequel on va au moyen de ses cartes étendre nos comptoirs à travers l’empire romain pour commercer et se procurer du vin, du tissu, de la brique, etc. De prime abord, le jeu ne déborde pas de thème, ce sont surtout ses mécaniques qui sont notables.

Le nom de Concordia se réfère à une divinité romaine, fille de Jupiter et de Thémis, déesse de la Paix et de l’Harmonie. Mais la statue qui orne le plateau et le dos des cartes n’a pas une origine antique comme on pourrait le penser : elle trône au sommet d’une colonne à Stuttgart sur la Place du Château depuis 1863 (œuvre du sculpteur Ludwig van Hofer).

Concordia est un jeu de commerce qui prend place dans l’empire romain. Rome, originellement une petite cité du Latium a conquis un immense territoire, allant de la péninsule italienne au Moyen Orient actuel à l‘Est, le littoral Nord-africain au Sud, la péninsule ibérique, la gaule à l’Ouest sans oublier une partie de la Britannie (pays de Galles et Angleterre), soit 80 millions d’habitants ! Les différentes cartes proposées par le jeu, en s’adaptant au nombre de joueuses, permettent de rendre compte de la grandeur de cet empire.

L’empire romain

Ce vaste territoire, étendu sur 3 continents, a pu être uni et pacifié grâce à une organisation administrative mais surtout par un climat de sécurité et de paix ce que n’avait pas permis la République, période souvent troublée par des guerres civiles. Le pouvoir impérial a rendu possible pendant deux siècles le développement d’un commerce dynamique et prospère : c’est la Pax Romana.

L’Empire est divisé en provinces dirigées par des gouverneurs nommés par l’empereur. Ils ont le pouvoir financier (percevoir les impôts), celui de police (maintien de l’ordre) et judiciaire (gestion des tribunaux). Cependant, les décisions importantes restent prises à Rome par le pouvoir central.

Une figure importante que l’on retrouve sur une carte du jeu est le préfet de l’annone, en latin præfectus annonæ, un magistrat chargé d’assurer le bon approvisionnement en grains de Rome. Le mot annona, dérivé d’annus, « année », désignait au sens propre la production annuelle (la récolte) de différentes denrées; il a ensuite désigné le prix variant annuellement de ces denrées, puis le ravitaillement de Rome en tant qu’il était garanti par l’État.

Sous la République, il s’agit d’un magistrat nommé exceptionnellement, en cas de disette. Il est alors chargé de trouver du ravitaillement pour la cité, particulièrement du grain. Sous le Haut-Empire, le préfet de l’annone devient un préfet impérial permanent chargé d’assurer le bon approvisionnement en grains de Rome, soit d’une agglomération estimée à un million d’habitants (au ier siècle).

Les approvisionnements en blé proviennent pour l’essentiel par voie maritime des provinces romaines d’Afrique, d’Espagne et d’Égypte et sont stockés dans les entrepôts (horrea) d’État à Rome. Un approvisionnement bien organisé devait stocker à Rome une année de consommation. Le blé était ensuite soit distribué gratuitement (Congiaire) aux quelque 200 000 allocataires (nombre fixé par Auguste et resté stable durant l’Empire), soit revendu à des entreprises privées de boulangerie pour le marché libre.

Pour assurer la sécurité des provinces, les empereurs ont construit aux frontières un système de défense fortifié, les limes, avec des camps militaires. Les soldats s’y installent avec leur famille fondant ainsi des colonies.

Les « vétérans » (soldats ayant terminé leur service militaire) reçoivent souvent des terres dans les provinces pour y fonder des colonies. Toutes les colonies sont construites sur le modèle de Rome : administration, bâtiments …. Même les peuples conquis imitent dans leurs anciennes cités ce modèle (ex : ils changent leurs noms d’origine pour le romaniser).

Les Romains sont relativement tolérants sur le plan religieux en respectant les divinités et croyances locales. Souvent, ils les mélangent (par exemple, Sérapis : dieu mi-égyptien mi-romain représentant Jupiter et Apis). Ils peuvent aussi les adopter en transformant leurs noms (les dieux grecs : Zeus devient Jupiter, Aphrodite devient Venus…..Le culte d’Isis, déesse égyptienne se répand dans l’Empire.

Un développement économique sans précédent

Pour conquérir tous ces territoires et permettre une avancée rapide et facile des troupes, l’envoi de courrier au pouvoir central, l’armée romaine a construit un réseau de routes dallées, solides et bien entretenues. Ce réseau terrestre d’environ 30.000 km s’est agrandi en reliant toutes les provinces de l’empire et a ainsi favorisé l’essor du transport des marchandises et donc du commerce. Les transports se font avec des ânes, mulets, bœufs et chameaux suivant les provinces.

Les voies fluviales sont aussi utilisées unissant les différents territoires d’une province. Le réseau maritime, pour les mêmes raisons, s’est considérablement développé : les Romains appelaient la Méditerranée « Mare Nostrum ». Grâce à des ports continuellement aménagés (Ostie, Carthage, Alexandrie, Leptis Magna, etc.), un réseau de routes sans cesse entretenues et perfectionnées et un ensemble de fleuves permettant d’atteindre l’intérieur des terres à partir de la Méditerranée, les marchandises peuvent alimenter d’énormes centres de consommation (Rome, les grandes villes, les zones frontalières). Avec les provinces d’Asie, les échanges commerciaux se multiplient même avec l’Inde et la Chine. Rome s’enrichit !

« Tous les chemins mènent à Rome » Ce sont toutes ces routes commerciales que l’on retrouve sur les plateaux de Concordia.

Les initiatives privées, le commerce, étaient interdites théoriquement aux Sénateurs et leurs familles, appartenant à la classe des Patriciens, les vieilles familles romaines . Elles étaient pratiquées par la classe des Chevaliers (nouveaux riches), la Plèbe ou les affranchis (les anciens esclaves devenus libres). On distingue deux types de commerçants : les negotiatores, parfois agents de l’Etat, qui vendent les produits de base en gros et sont parfois usuriers, certains sont agents de l’Etat et les mercatores qui fabriquent et transportent les marchandises. Les emporos quant à eux étaient marchands et marins, recevant d’un armateur (souvent un sénateur) un navire dont les bénéfices étaient partagés, la plus grosse part revenant à l’armateur. Ce métier était très dangereux, la navigation se faisait sans boussole, avec des vents souvent violents sans oublier les pirates !

Car l’essentiel du commerce était un commerce maritime et les ports tout autour de la Méditerranée se sont agrandis. Ainsi, le port d’Ostie permettait d’acheminer les marchandises à Rome par le Tibre. Des caravanes acheminaient les produits de Chine et d’Inde jusqu’aux ports. Les productions venant de tout l’Empire étaient vendues dans des marcellum ou marchés couverts. Il y en avait plusieurs à Rome, souvent spécialisés dans un type de produit. Les provinces commerçaient avec la capitale, principal marché de l’Empire, mais aussi entre elles. Chacune avait ses propres droits de douanes. Les paiements s’effectuaient par l’intermédiaire de banquiers présents dans tout l’Empire. Les banques étaient privées, publiques ou même appartenaient à des temples.

Alors quelles productions trouve-t-on dans Concordia ? Et bien par exemple des amphores, le récipient le plus utilisé dans l’Antiquité pour le transport de produits de base : le vin, l’huile d’olive, la bière (zythum et zythogala) et les sauces de poissons (de type garum).

D’usage extrêmement courant dans le pourtour méditerranéen, on la trouve parfois réutilisée, soit broyée afin d’entrer dans la composition du mortier au tuileau romain, soit telle quelle comme canalisation ou pour ménager un vide sanitaire. Parfois, elle sert de cercueil pour une sépulture d’enfant. Enfin, on la jette souvent dès que son contenu est consommé : c’est ainsi que le mont Testaccio s’est formé de l’accumulation de débris d’amphores à Rome. C’est ce caractère jetable des amphores qui fait leur valeur archéologique pour l’amphorologie : à partir d’un tesson d’amphore un archéologue peut dater, à quelques décennies près souvent mais parfois bien plus précisément, la couche stratigraphique où le tesson a été retrouvé, ou encore l’épave du navire qui les contenait. La typologie décrivant les amphores d’époque romaine donne des noms et une numérotation, avec une description qui permet aux archéologues de situer leurs échantillons dans la typologie et de les dater.

On vend et on achète également de la brique romaine, indispensable pour construire nos comptoirs commerciaux. Les Romains fabriquent des briques à partir d’argile décantée et nettoyée dans l’eau à laquelle est ajouté du sable, selon une procédure similaire à celle utilisée pour la céramique. L’argile ainsi traitée est versée dans des moules en bois puis les briques obtenues sont séchées pendant plusieurs jours à l’abri du soleil. Une fois sèches, les briques sont introduites dans un four où la température peut atteindre les 1 000 °C. La brique romaine est plus fine que la brique moderne et peut prendre des formes très diverses : carrées, rectangulaires, triangulaires ou encore circulaires. Les Romains commencent à utiliser la brique vers la fin de la République et perfectionnent la technique de fabrication de la brique au cours du Ier siècle. Elle est utilisée sans distinction dans la construction des édifices publics et privés. Les premiers édifices entièrement bâtis en brique apparaissent à partir du règne de Claude, vers le milieu du Ier siècle.

Les légions romaines, qui disposent de fours mobiles, introduisent la technique de fabrication des briques romaines dans toutes les provinces de l’Empire. D’ailleurs, les briques romaines mises au jour dans les provinces portent souvent la marque de la légion qui a supervisé leur production. Cette estampillage systématique est caractéristique de la production romaine de briques. Il apparaît comme une nécessité pour les producteurs pour reconnaître les briques issues de leur production au sein d’un marché florissant où les intermédiaires sont nombreux. Durant tout le IIe siècle et plus occasionnellement après, en plus de porter le nom de leur producteur, les briques sont datées avec le nom des consuls éponymes, permettant une datation relativement précise par les archéologues des ouvrages comportant des briques.

Les produits provenant des provinces orientales étaient les plus onéreux et recherchés : perles, ivoire, épices (gingembre, cannelle, poivre…), encens de la péninsule indienne, soie de Chine, pierres précieuses du Yémen. D’Afrique, proviennent des tapis, des bêtes sauvages et les esclaves. Quant à l’Egypte, elle fournit le blé (c’est le grenier à blé de l’Antiquité), le papyrus, les dattes.

Et pour les provinces occidentales, on peut citer en vrac :

  • de Sicile et d’Italie : vin, garum (sauce, condiment très apprécié), huile (3% des amphores) ;
  • d’Hispanie, Rome importait des métaux (or, argent, cuivre, fer) mais aussi du miel, de l’huile, des étoffes ;
  • de la Gaule : vin, huile, viande, toiles ;
  • de la Britanie : des métaux (plomb et étain) ;
  • le commerce était plus limité avec la Germanie dont provenaient l’ambre, le bétail, le bois et des esclaves.

Les dieux dans Concordia

Dans Concordia, chaque carte que l’on récupère au cours de la partie est affiliée à un dieu ou une déesse, ce qui aura de l’importance en fin de partie au moment de compter les points puisque chaque dieu ou déesse accorde un scoring particulier, plus ou moins élevé selon que l’on aura réalisé des offrandes à cette divinité (c’est à dire que l’on aura récupéré des cartes de ladite divinité).

Vesta (ou Hestia en grec) est la déesse romaine du foyer, de la maison, de la famille dont les attributs sont la lance et la flamme, symbolisant la défense et la chaleur du foyer. Elle inspire la chaleur, réconforte et protège. Son culte était célébré par les vestales (jeunes filles) qui devaient veiller à l’entretien du feu. Elle incarne uniquement le foyer de la cité ; les divinités domestiques dans les maisons sont les Lares, les Pénates et le Génie de la maison. Dans le jeu, elle nous rapporte des points pour les pièces accumulées.

Jupiter (ou Zeus) est le dieu qui gouverne la terre et le ciel et tous les êtres vivants ; maître des autres dieux, il a pour attribut l’aigle, la foudre (orage), le chêne, le sceptre. Il devient associé à la mission de conquêtes sous les Romains. Il a des temples dans de nombreuses cités. Dans le jeu, il nous rapporte des points pour nos villas construites dans les différentes cités.

Saturne (ou Cronos) a détrôné son père Ouranos et lui-même a eu peur de subir la même chose : il avale tous ses enfants sauf son fils Jupiter caché par sa mère Rhéa. Jupiter, devenu adulte, chasse Saturne du ciel. Ses attributs sont la faux symbolisant le temps qui passe. Dans le jeu, il rapporte des points pour les différentes provinces où les joueuses ont pu s’implanter.

Mercure (ou Hermès) : dieu du commerce, des voleurs, des voyages, et messager des autre dieux, c’est un dieu très respecté chez les romains. Son nom vient de « merx » ou marchandises, commercer, salaire ou partager sa part. Ses attributs sont la bourse, le caducée, des sandales ailées, un coq ou un bouc. Il est souvent assimilé dans les provinces avec des dieux locaux. Logiquement, dans le jeu, Mercure rapporte des points pour chaque type de marchandises produits par les joueuses.

Mars (ou Arés) : dieu de la guerre et des guerriers, de la jeunesse, (car les soldats sont souvent jeunes), de la violence, de la protection du sol, il est très vénéré à Rome car il est considéré comme le père de Romulus (et Rémus), fondateur et protecteur de la cité : c’est le « Mars Pater ». Le premier mois de l’année est d’ailleurs nommé en son honneur car il coïncidait avec la reprise de la guerre après l’hiver (et oui c’est bien plus tard que janvier est devenu le premier mois de l’année). Ses attributs : la lance, le bouclier, l’épée, sur sa poitrine la tête de Méduse. Dans le jeu, il rapporte des points pour le nombre de colons que les joueuses ont pu déployer.

Minerve (ou Athéna) : déesse de la pensée élevée, de la sagesse, de l’intelligence, des métiers artisanaux, des lettres, de la musique, des arts, de la guerre mais comprise sous l’angle de la réflexion stratégique et de la tactique (par opposition à la brutalité de Mars). Ses attributs : la chouette, le casque, la victoire ailée, l’olivier, la lance d’or et sur le bouclier, la tête de Méduse Dans le jeu, elle rapporte des points en fonction du niveau de production de la joueuse pour certaines marchandises.

Venus (ou Aphrodite) : déesse de l’amour, du sexe, de la beauté, de la fertilité. La légende de la fondation de Rome par Enée fait de la déesse sa mère, donc celle de Rome. Ses attributs : le miroir, la ceinture magique (les grâces, le sourire, l’éloquence des yeux bref la panoplie de la séduction), la colombe, la pomme, le cygne. Jules César se réclama d’Enée et donc descendant de Venus. Sous le règne d’Auguste, elle devient la protectrice officielle de la dynastie des Julio-Claudiens. Dans le jeu, elle rapporte des points en fonction du nombre de villas construites.

En conclusion…

Les conquêtes ont permis un développement économique qui a considérablement enrichi Rome et unifié l’Empire.

Les échanges ont aussi été démographiques par « l’importation » d’esclaves et de marchands venus de toutes les Provinces mais aussi par l’émigration de la population italienne s’installant dans des colonies ou des cités dans tout l’empire. Rome et les grands ports sont devenus des cités cosmopolites, comme un début de “mondialisation” autour de la Méditerranée.

Mais Rome, à l’origine cité exportatrice, est devenue progressivement une cité importatrice de plus en plus dépendante de ses provinces et donc fragile. L’équilibre entre la capitale et les provinces, puis entre l’Italie et les provinces, est maintenu uniquement par une imposition stricte.

Même si son thème est quelque peu plaqué, il reste que Concordia est devenu une sorte de classique moderne grâce à son système de jeu simple à aborder, dont les nombreuses cartes permettent de renouveler les parties.

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