21 novembre 2024
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Londres est un jeu de Martin Wallace, illustré par Mike Atkinson, Natalia Borek et Przemysław Sobiecki. Il est réédité par Osprey Games et localisé en France par Origames.

Cette chronique a été diffusée dans l’émission « Chroniques 123 » de janvier 2021 proposée par le podcast Proxi-Jeux. Elle a été co-écrite avec Hammer.

1666…. une année qui ferait frissonner les plus superstitieux d’entre nous. Une année qui ne nous évoque pas forcément grand chose à nous petits frenchies amateurs de cuisses de grenouille.

Mais pour nos voisins grands-britons, pas de doute 1666 est une année qui résonne parce qu’elle a connu un événement particulièrement destructeur pour la capitale anglaise. En effet, en septembre 1666 un terrible incendie va ravager pendant plusieurs jours le centre de Londres. Ce fait divers va également révéler les peurs et luttes politiques de l’époque, entre fausses accusations, xénophobies et conflits entre le pouvoir royal et le pouvoir de la ville. Enfin, il va être le point de départ à une reconstruction de la ville qui s’égrène sur plusieurs décennies, voire siècles.

Le grand incendie de 1666 est aussi le point de départ d’un jeu de Martin Wallace dans lequel les joueuses, de 2 à 4, incarneront justement ces urbanistes et architectes en charge de la reconstruction de la capitale. Un jeu assez logiquement nommé Londres, édité originellement en 2010 par Treefrog Games, puis ré-édité en 2017 par Osprey Games, la version française étant parue en 2019 chez Origames. Il est illustré par Mike Atkinson, Natalia Borek, Przemysław Sobiecki. Direction le cœur de Londres, ses quartiers populaires et commerçants, pour la reconstruction d’une des plus grandes capitales européennes.

L’incendie

Le dimanche 2 septembre 1666, le feu démarre après minuit dans une boulangerie de Pudding Lane, dont le propriétaire est Thomas Farriner. L’incendie, probablement au départ une étincelle qui serait tombée sur une botte de paille, se déplace vers l’Ouest de la Cité et prend vite beaucoup d’ampleur.

Alors que le roi Charles II ordonne le mise en place d’un coupe feu et la destruction des maisons, Le Lord Maire, Thomas Bloodworth, qui a tout pouvoir dans la cité, refuse d’utiliser cette technique (et oui il avait peur des futures plaintes des propriétaires). Il juge alos l’incendie « mineur ».

Le coupe-feu est finalement mis en place mais un vent violent s’est levé ; de plus les démolitions sont devenues impossibles car les rues sont désormais bloquées par la population qui fuit emportant meubles …. L’incendie devient hors de contrôle.

Lundi 3 septembre, l’incendie se propage, seule la rive sud est épargnée grâce à la Tamise. Le vent ramène les flammes au cœur de la Cité où se trouve le Royal Exchange (bourse et centre commercial) qui s’embrase.

Une rumeur enfle alors : l’incendie ne serait pas accidentel mais le fait d’une conspiration. On accuse les Français et les Hollandais d’avoir allumé le feu et la population lynche les étrangers qui se trouvent sur son passage. Alors que le Lord Maire quitte Londres, le roi passe outre les autorités de la Cité et son frère patrouille dans les rues pour maintenir l’ordre et aider les étrangers.

Le mardi 4 septembre est la journée la plus terrible. Malgré les efforts du roi et du duc d’York, l’incendie continue d’avancer : la Cité est complètement détruite ainsi que la cathédrale Saint Paul. La tour de Londres est aussi menacée : le roi ordonne l’explosion au canon des maisons qui se trouvent autour pour la protéger. L’incendie traverse la Fleet, rivière qui coule à l’ouest de la Cité et menace Whitehall où se tient la Cour.

Le mercredi 5 septembre, le vent tombe enfin et l’incendie qui se dirige vers l’est se termine aussi grâce à des coupe-feu efficaces.

Dans la nuit, les londoniens voient une lumière dans le ciel et croient que 50 000 immigrants français et hollandais marchent sur les rescapés ! Les violences recommencent dans les rues. Le roi a peur d’un soulèvement (Charles II a une mère française, il a été en exil en France à la cour de Louis XIV et son père a été décapité).

Le bilan matériel est évalué à environ 10 M£. On estime qu’ont été incendiés 1300 maisons, 87 églises, la cathédrale Saint Paul, la majorité des édifices publics de la cité, 44 maisons de guildes, plusieurs prisons, 3 portes de la Cité.

Le bilan humain paraît moins lourd : on dénombre officiellement 10 victimes mais avec la chaleur de l’incendie de nombreuses victimes ont été réduites en cendre et non comptabilisées. En revanche, on compte plus de morts dans les campements provisoires où s’entasse la population chassée de la Cité après l’incendie. Il y a en effet entre 70 000 et 80 000 londoniens sans maison.

Thomas Farriner, le boulanger chez qui l’incendie a démarré, n’est pas mort dans l’incendie, il a fui avec sa famille par les toits. Il n’est pas inquiété et signera même le projet de loi accusant un français d’avoir déclenché l’incendie : Robert Hubert qui s’était accusé avouera sous la torture alors qu’il ne se trouvait pas en Angleterre le 2 septembre. Hubert fut pendu à Tyburn en octobre 1666. Et oui, le nationalisme et la xénophobie sont forts envers les catholiques ; le roi lui-même est soupçonné d’avoir voulu punir le peuple de Londres pour avoir exécuté son père.

En 1667, une fois les tensions retombées, le feu fut attribué « à la main de Dieu, le vent et une saison sèche ».

Dans Londres le jeu, le grand incendie n’est pas un élément du jeu lui-même. Il est le point de départ de la partie, le prétexte historique justifiant les actions des joueuses architectes. C’est un événement très important dans l’histoire de l’Angleterre, qui a une dimension symbolique très forte.

La reconstruction

Le jeu Londres propose 3 époques de jeu, figurées par 3 paquets de cartes, car en réalité la reconstruction s‘est étendue de la fin du XVIIè siècle à la fin du XIXè siècle. Ces cartes représentent des bâtiments, monuments, constructions ou encore des commerçants et artisans, des guildes. Ces cartes que l’on a en main sont les Projets urbains que l’on choisit de développer.

La reconstruction s’amorce quant à elle avec le “Rebuilding of London Act 1666” adopté en février 1667 pour établir les règles à respecter dans la construction des bâtiments

Plusieurs plans sont proposés. Certains auraient voulu que Londres devienne un centre urbain magnifique avec de larges places, de larges avenues comme le plan conçu par John Evelyn ou de Christopher Wren ; c’était une réorganisation radicale de la ville (cette grille sera adoptée à Philadelphie). Mais beaucoup d’artisans ont quitté la ville et il faut aller vite pour les reloger. De plus, la reconstruction était financée par des intérêts privés impatients !

En octobre 1666, le roi et la ville ont nommé des commissaires dont Christopher Wren, pour surveiller le respect des nouvelles règles de construction : largeur des rues, maisons en briques, en pierre ; hauteur réduite des maisons, épaisseurs des murs, utilisation du chêne qui brûle moins vite, balcons pour faciliter le sauvetage…. avec plus d’hygiène. Mais, pour aller plus vite, on garde le tracé des anciennes rues qui sont élargies et les quais sont rendus plus accessibles.

Ce Christopher Wren dont le nom est intimement lié à Londres est un architecte incontournable de cette reconstruction. Ce n’est donc pas un hasard qu’il constitue l’une des cartes spéciales du jeu qui donne à celle qui la joue un pouvoir puissant.

En février 1667, la reconstruction débute. Le pouvoir royal crée le corps des “surveyors“ qui devaient veiller au respect des exigences et mettre des amendes. Mais, ils ne furent pas remplacés et la loi ne fut pas toujours appliquée.

Dans Londres, le jeu, les joueuses s’attèlent à la rénovation des districts (Battersea, Hamptead, Kensington) dont elles font l’acquisition, chaque nouveau terrain acheté venant remplacer le précédent. Et parallèlement, elles développent leurs Projets urbains en posant les cartes bâtiments, monuments, commerçants, qui rapportent parfois des points de prestige et qui ont très souvent des effets. Bien entendu, ces effets sont en lien avec le libellé de la carte : ainsi les commerçants et guildes vous rapportent de l’argent, les bâtiments industriels drainent de la pauvreté (on va vous en reparler), les monuments rapportent des points de prestige.

Parmi les cartes monuments, on trouve bien entendu la cathédrale Saint Paul ( 6 points de prestige) dont la reconstruction est confiée à Wren. Il faut 35 années pour achever se reconstruction : l’architecture est un mélange de classicisme et de baroque, la coupole est inspirée des coupoles de Saint Pierre et des Invalides. Cette coupole est une vraie prouesse avec notamment une galerie des murmures (les mots chuchotés s’entendent sur le côté opposé à 34 m). Wren ayant vécu jusqu’à 91 ans, il put voir don œuvre terminée.

Rapporte également 4 points de victoire le monument commémoratif érigé là encore par Wren près de Pudding Lane à l’initiative du roi. En 1668, les accusations portées contre les catholiques ou papistes y sont gravées ; elles ne disparaîtront qu’en 1830.

Vos projets urbains, vous pouvez en développer autant que vous le souhaitez : vous pouvez les empiler sur vos anciens projets ou encore créer de nouvelles piles. Plus vous aurez de piles, plus vous pourrez tirer les bénéfices de ces projets lorsque vous les activez. Mais attention : à trop mener de projets en parallèle, vous vous exposez à augmenter la pauvreté dans vos Districts.

La pauvreté à Londres

Car s’il est un élément qui est, lui, bien présent dans le jeu de Martin Wallace, c’est la pauvreté. Vous savez, ces petits cubes noirs menaçants qui n’arrêtent pas de venir s’ajouter à votre réserve personnelle, et dont il vous faudra avoir moins que les autres joueuses autour de la table, sous peine de perdre des points en fin de partie. Vous serez probablement à l’affût des cartes qui vous permettront à l’occasion de remettre dans la réserve générale un ou deux de ces vilains petits cubes, ou à l’inverse d’en refiler à vos petits camarades. Et la pauvreté en Angleterre, et à Londres en particulier, c’est bien un problème social prégnant à l’époque représentée dans le jeu.

Le pays fut en effet l’un des premiers à instaurer un système de charité publique, distribuée au niveau local mais définie par un cadre juridique national. Deux lois (de 1597 et de 1601) régissent la distribution de l’aide, dont l’organisation est confiée aux paroisses, grâce à des fonds récoltés localement et alloués aux résidents. Malgré ce cadre législatif, les variations régionales sont importantes, et à Londres la multiplicité des autorités locales dans cette ville déjà immense pour l’époque ne fait que compliquer la gestion de la pauvreté. Deux types de pratiques coexistent tout au long de la période : l’outdoor relief, l’assistance dispensée au domicile des nécessiteux, et l’indoor relief, l’aide distribuée dans des établissements fermés, ceux que Charles Dickens décrira dans son roman Oliver Twist.

La volonté des autorités d’institutionnaliser l’aide aux plus démunis grâce à des fonds publics est en soi tout à fait louable, mais au XVIIIe siècle la classe bourgeoise s’inquiète du coût grandissant de cette charité d’état et attribue la pauvreté de certains à de mauvaises habitudes de vie ou à de la simple paresse. Il y a donc une volonté de rendre cette charité institutionnelle la moins attractive possible, pour que les pauvres ne la recherchent pas aussi systématiquement. En 1722, une loi est passée qui autorise les paroisses à fournir de l’aide aux plus démunis dans des “maisons de travailleurs” spécialement bâties pour eux. En 1776, Londres compte environ 90 de ces maisons, qui abritent plus de 15000 locataires. Les pauvres y vivent dans des pavillons unisexes et les valides doivent s’acquitter de toutes sortes de tâches ingrates, par exemple du filage ou de la couture.

La vie dans les maisons de travail varie énormément d’une paroisse à l’autre. Certaines sont propres et sont des refuges confortables pour les pauvres. Beaucoup procurent de l’éducation, prennent soin de la santé de leurs pensionnaires et leur fournissent des vêtements.

Mais d’autres sont des endroits noirs et sinistres, souvent désespérément surpeuplés. Les résidents sont obligés de porter des uniformes spéciaux ou des badges indiquant leur statut déshonorant. Beaucoup de personnes y contractent des maladies et y meurent, pour être ensuite enterrés anonymement dans des fosses communes. Dans les années 1750, Jonas Hanway, écrivain et philanthrope anglais, enquête sur ces maisons et découvre que le taux de décès des enfants dans les maisons de travail londoniennes est de 90% ! Certains pauvres préféraient mourir de faim dans la rue plutôt que d’être enfermés dans ces endroits lugubres…

En tout cas, ces maisons de travailleurs sont bel et bien présentes dans le jeu de Martin Wallace au travers des cartes éponymes dont l’effet, sans surprise, est de vous débarrasser de plusieurs cubes de pauvreté, même si la réalité historique tend à dire que ces maisons avaient parfois pour but de seulement confiner la pauvreté dans des endroits fermés, puisque la mendicité et le vagabondage ont été combattus avec sévérité pendant la période historique dans laquelle nous plonge le jeu.

Bien sûr, ce ne sont pas les seules cartes qui vous permettront de faire baisser votre pauvreté… Beaucoup d’autres cartes représentent surtout le progrès technique et les améliorations de la salubrité publique, qui sans doute ont un effet bénéfique — mais indirect — sur la pauvreté. En vrac et par exemple, le cimetière de Highgate, ouvert en 1839 et destiné à lutter contre la propagation des maladies dûe à la proximité des anciens cimetières du centre-ville. Ou de manière plus évidente la carte “égouts”, qui symbolise bien cette amélioration des conditions de vie des Londoniens.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la Tamise est un gigantesque égout à ciel ouvert qui favorise l’apparition des maladies et les épidémies, comme celles de choléra. Les premiers projets pour un système d’égouts dignes de ce nom datent des années 1700 mais le coût aura toujours rebuté les gouvernements successifs, jusqu’à cet épisode de l’histoire de Londres qu’on appelle “La Grande Puanteur”. Pendant l’été 1858, la chaleur est telle que l’odeur de la Tamise charriant les eaux usées est absolument insupportable, allant même jusqu’à empêcher les députés de siéger. C’est finalement ce qui déclenchera un chantier de grande ampleur confié à l’ingénieur Joseph Bazalgette. Douze ans de travaux, des centaines et des centaines de kilomètres de tunnels, 318 millions de briques, 2,7 millions de mètres cubes de terre déplacés et 670 000 mètres cubes de béton feront de Londres une ville dotée d’un système d’assainissement moderne dont la qualité de construction lui permettra d’être globalement toujours en bon état au début du XXIè siècle.

En conclusion…

Comme souvent dans ses jeux, Martin Wallace montre dans Londres son amour pour les contextes historiques et les moteurs économiques. Car dans Londres il faudra aussi trouver comment gagner de l’argent, car la reconstruction d’une aussi grande ville, ça n’est pas gratuit ! L’histoire transpire surtout par les superbes illustrations des cartes du jeu plutôt que par les mécaniques mises en œuvre, mais la période décrite s’étale sur un grand nombre de décennies et une grande échelle, et chacune des cartes peut représenter des projets de grande ampleur.

Toujours est-il que Londres propose de revivre une partie de l’histoire de cette grande ville d’Europe et d’être des architectes efficaces en sachant gérer sa main de cartes et surtout en trouvant le bon timing. Lorsqu’on y arrive, on a la satisfaction d’engranger des points de prestige qui mèneront peut-être à la victoire. Mais on peut aussi sombrer dans la spirale de l’endettement et de la pauvreté galopante si nos projets d’urbanisme ne sont pas bien adaptés à nos quartiers.

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